Dans l'antre du Dragon
texte écrit par La Louve
I l y avait eu cette première fois où nous avions voulu mettre un sourire sur nos pseudos qui se croisaient depuis tant d’années.  
Il y avait eu cette main tendue, cette confiance donnée totalement en retour et une mauvaise passe de jambe pour nous retrouver agenouillés, lui me consolant, moi frottant ma tête et de l’autre main lui rentrant mes griffes dans l’avant-bras.  
C’était la première fois et là, c’était la seconde.  
Est-ce la chaleur estivale, mes deux semaines de vacances mémorables qui ont fait que je l’ai vu différent. Toute l’après-midi j’ai eu un festival de facettes éblouissantes pour la SENSuelle que je suis.  
L’être à l’avatar magique et dont je craignais les flammes est homme et j’apprécie l’être que je vois, que j’entends, que je sens.  
Il a peut être changé lui aussi, je l’ignore, mais j’ai envie d’oublier ce coup de boule et avoir un souvenir plus souriant quand je le regarde.  
Je ne veux pas lui imposer quoique ce soit, alors en privé, chuchoté, je lui murmure « m’accorderais-tu une danse ? ». Je ne le regarde pas droit dans les yeux mais sa réponse me fait plaisir.  
Je laisse le temps au temps, j’ai l’impression de l’avoir dérangé et tandis qu’il se met à bouger, penser, réfléchir, agir, être immobile, je l’oublie. « La louve ne vient que lorsqu’on l’appelle » sans pour autant imaginer un caractère docile car elle choisit avec soin chacun de ses attacheurs.  
Alors que je parle tranquillement, un jeu de cordes est posé sur mon épaule droite. Je regarde Dragon, sont-ce les prémices du départ comme un gant jeté pour un duel ? Non, son doigt sur sa bouche m’indique qu’il faut laisser couler le sablier.  
Je continue donc de faire connaissance avec un nouveau venu mais des flashs me parasitent. Cette corde sur mon épaule sent le miel. Un miel passé, un miel très neutre, celui qu’on appelle vulgairement « toutes fleurs ». Je touche les cordes, elles sont douces et l’odeur sucrée commence à me faire sourire et voyager dans des goûts de mon enfance.  
Le temps s’étire avec plaisir et un jeu de cordes est déposé lentement sur mon épaule gauche. Je me mets à frissonner. Une odeur boisée, de la paille, un relent caramel qu’inconsciemment je me mets à toucher. Ca craque, ça croustille, c’est jouissif.  
Sans le faire exprès, mon nez va jouer de droite à gauche, comme pour créer sa propre fragrance, entre le croustillant et le doux, le sucre et la paille.  
J’ai oublié Dragon quand nos regards se croisent. Il est au loin, dans un champ d’herbes, au soleil. D’un geste de la main il m’invite à venir. J’observe le terrain. J’apprécie le retrait du groupe, l’ambiance, l’intimité générée.  
Je suis surprise de constater que la zone est tellement grande et libre que je m’en sens prisonnière. Mais c’est bien volontaire et tranquille que je vais m’approcher de lui. Je m’assoie face à Dragon, comme un élève devant un maître.  
Mon premier réflexe est de lancer mon odorat pour y lire sa sueur mais je constate que je suis complètement bloquée par les deux odeurs de cordes qui tournent autour de moi depuis un très long moment.  
« Bravo, je me suis faite piéger, j’ai rien vu venir »  
Dragon a même la délicatesse de me rappeler leur existence en me demandant de faire attention ma bretelle (moi qui suis en dos nu, le message est clair).  
Me reste donc le regard où l’appréhension d’y lire du sadisme m’angoisse. Stupeur de n’y lire que de la gentillesse, de la prévenance et une grande attention. Je suis tellement perturbée par cette ouverture de « porte de l’âme » que, par respect, je baisse les yeux pour lui faire comprendre que j’apprécie cette confiance.  
Par cette baisse de regard, je vois ses mains qui s’activent sur une corde qu’il fait glisser de gauche à droite. Une troisième corde.  
Et mon nez s’affole, cette corde a une odeur très forte ! Malgré le brouillard olfactif créé, je la sens, je la veux et ça devient une obsession. Tant pis si je dois passer pour une folle qui courre le nez en avant, cette corde là à une odeur de tabac, de bois, un vernis doux, un goût d’herbe à croquer sous la dent, une odeur qui fait saliver.  
Dragon et moi allons tourner sur nous même, tournicoter, nous retourner, moi toujours en quête de « l’odeur de cette troisième corde » oubliant même les deux autres que je n’ai pas senties tomber, et pourtant si lourdes sur mes épaules quand elles furent posées.  
Les odeurs se mélangent, se créent, tournoient, se dessinent et apparait devant moi une nuée de papillons aux couleurs sable qui virevoltent devant mes yeux.  
Comme une enfant, je ris, je souris, je cours.  
J’ai le souvenir de ma main droite caressant les herbes folles tandis que ma main gauche creusait le sol. Un sol mou, une terre molle. Je me suis même demandée si je n’étais pas bancale car je sentais chaque doigt gauche s’allonger, s’écarter, creuser la terre, tandis que ma main droite volait au gré du vent, des herbes et des papillons.  
« Es-tu louve ou humaine ? »  
C’est la première fois que je ne me transforme pas totalement. Là, je perçois bien les deux nuances, la louve qui gratte, qui creuse, qui griffe, l’être qui caresse, qui tend, qui touche.  
Grondement, tonnerre, des roulements qui se répercutent dans tout mon être. Ca me foudroie même si je n’ai pas vu l’éclair. Je n’ai pas fais attention à l’éclair, je n’ai pas compté le nombre de seconde entre l’éclair et le tonnerre !  
Où est l’orage, dois-je me protéger ? Où aller ?  
Trou noir.  
J’ouvre les yeux, je suis encastrée dans de la roche.  
Je rappelle mes souvenirs, il y avait les papillons, le tonnerre, a-t-il plu ? Ai-je glissé ? Pourquoi j’ai l’impression d’être tombée et qu’ensuite un rocher est venu épouser le haut de mon corps ?  
Avec du recul, je parlerai même d’un dessin animé Tex Avery où le héros est totalement explosé contre un mur invisible et donne à ses membres, sous l’impact, une contorsion de ses membres assez comique.  
J’appelle à moi mes bippers. Je ressens mon cou, mon dos, mes membres, je suis femme. Mais vu la situation, je dois appeler la louve car sinon je ne vais pas m’en sortir toute seule. Crissement de colonne vertébrale, mon nez s’élance, l’odeur de l’herbe est en haut, je dois donc monter, et monter, et monter encore.  
La roche se désagrège sans problème, je vais puiser sur mes pattes arrière pour m’élancer et l’herbe va m’offrir un havre de paix pour me reposer.  
Tandis que je récupère, les papillons viennent me provoquer et me donnent envie de les attraper, de les toucher, de les humer. D’une humeur joueuse, je vais les suivre et dans l’impulsion de mieux les sentir, je vais même en attraper un avec mes dents, puis délicatement, je vais le mettre dans le creux de mon cou pour en savourer tout le parfum.  
Je suis encore perturbée dans la notion d’être femme ou louve, j’avoue que mes mains me donnent encore des informations animales et humaines.  
Troublée encore plus quand je me vois bouger dans l’espace, ne sentant plus mes jambes ! Je suis entrain de voler ! Et les papillons volent autours de moi. Je ne panique pas du tout, je sens comme une prise dans mon dos, cette prise est forte, dure, mais bienveillante et je ne tournerai même pas la tête pour regarder qui est-ce.  
Je suis déposée dans un immense nid au pic d’une montagne. Le nid est grand et il me faut du temps pour visualiser son contenu. C’est alors que je vois 5 petits oisillons qui bougent timidement et ça m’émeut.  
Je n’ose approcher pour ne pas les dénaturer et me complais dans ce spectacle de la vie.  
Les papillons m’entourent, les oisillons me demandent de venir voler avec eux.  
« Mais je ne peux pas voler ! » avec un éclat de rire.  
« Mais si, tu n’as qu’à décider d’être un oiseau ! »  
Arrêt sur image, blanc total dans mon esprit. Je suis femme, enfant, louve. Comment je fais pour être un oiseau ?  
Inconsciemment je frotte mes cheveux au sol pour m’aider à réfléchir. Et je sens mon dos fléchir, se contracter. Limite je me mords les lèvres pour ne pas hurler. Des ailes sont entrain de pousser dans mon dos. C’est douloureux mais tenable. La présence des oisillons et des papillons m’aident à tenir le coup.  
Je sens les ailes poindre, mordre ma chair et claquer dans le vent comme une voile en mer. Je peux être un oiseau !  
Les papillons et les oisillons n’arrêtent pas de babiller de joie, à sautiller, à voleter autours de moi, je me sens leur appartenir.  
Je m’approche d’eux pour les sentir, sentir s’ils ont la même odeur que moi, j’ai les yeux brillants de bonheur.  
C’est alors qu’un rugissement résonne à mon oreille droite qui me tétanise totalement et sans le faire exprès je grogne en réponse.  
Je dois protéger les oisillons, ils sont ma meute !  
Mais suis-je encore louve pour avoir cet instinct ?  
Dois-je devenir louve et attaquer ?  
Comment protéger avec mes ailes ?  
Tout s’emmêle dans ma tête, c’est la panique totale !  
Et je ne fais pas gaffe à l’enfant perdue dans ma tête qui se demande où elle est et se met à geindre, à pleurer et étouffer dans sa respiration.  
La louve est perdue, elle ne sait plus ce qu’elle doit faire.  
La femme est abasourdie d’être un oiseau.  
Reste l’enfant qui panique de plus en plus en pleurant.  
C’est alors qu’une chaleur va envahir mon dos, une voix douce glisser dans mon oreille « il n y a pas de danger, viens, allons nous promener ».  
Tout devient flou, les papillons envahissent mon champs de vison, me caressent, m’enivrent de leur odeur. Le nid peu à peu disparaît, l’odeur de l’herbe se fait plus forte.  
J’ouvre les yeux. Le soleil se couche, il fait bon. Le vent vient caresser mes cheveux. Un bruit se fait entendre. On dirait le tonnerre de tout à l’heure. C’est le TGV qui passe à côté du parc et qui dans les cordes a changé dans ses vibrations.  
Je regarde mes mains. Mains, pattes, serres.  
Dragon m’entoure, me réchauffe, me soutient dans mon éveil, ce réveil si doux et perturbant que je suis assommée par tous les flashs, les images et les odeurs vécues en ayant la perception d’en avoir oublié les trois quarts.  
Dragon me murmure une phrase, une phrase dont j’ai oublié les mots mais mes SENS restent encore frémissants, à l’heure où j’écris ce texte dans ma mémoire. Ne pas craindre mon animalité qui est mienne.  
Il y a un mois j’envisageais de stopper les cordes par ces faits. Un Dragon, sans me brûler, par la chaleur de son amitié, m’a permise hier soir de voyager dans mes personnalités au gré.  
Respect à ce personnage mythique d’avoir permis à la louve d’entrer dans l’antre du Dragon. Il est gardien d’un trésor inestimable, que peu ont la chance d’admirer.